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« Les familles ne peuvent plus vivre de leurs salaires »
« Les familles ne peuvent plus vivre de leurs salaires »

La Presse

time13-07-2025

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« Les familles ne peuvent plus vivre de leurs salaires »

(Athènes) Après avoir frôlé la faillite en 2010, la Grèce connaît ces dernières années l'une des croissances économiques les plus fortes de l'Union européenne. Mais pour plusieurs, cette remontée est synonyme d'appauvrissement et de recul majeur des droits des travailleurs. Maxance Cloutier et Simon Gionet Collaboration spéciale Des milliers de manifestants sont rassemblés à la station Panepistimio, au centre-ville d'Athènes. Nous sommes le 9 avril, jour de grève générale de 24 heures organisée par les principaux syndicats pour réclamer une hausse des salaires et le retour des conventions collectives. Le cortège se prépare pour son court trajet jusqu'au parlement. Derrière le calme général, la frustration face au coût de la vie est palpable. « Les salaires sont très bas, le coût de la vie ne cesse d'augmenter année après année. Les familles ne peuvent plus vivre de leurs salaires », critique Sebelidou*, 25 ans, en expliquant sa participation à la grève, la troisième en moins de cinq mois. La hausse du salaire minimum à 880 euros (1380 $ CAN) par mois, entrée en vigueur une semaine plus tôt, ne semble pas rassurer la jeune Grecque, qui s'inquiète plutôt du prix des logements. Si tu veux louer, c'est au moins 500 euros (784 $ CAN) [par mois]. Si tu es seul, tu ne peux pas. C'est impossible. Sebelidou, 25 ans « Tu dois rester chez tes parents jusqu'à 30 ans », acquiesce à ses côtés Theodoridou, 25 ans elle aussi, qui travaille à temps plein pour une société pétrolière. Les deux amies admettent elles-mêmes habiter chez leurs parents malgré leurs emplois, une situation répandue parmi la jeunesse grecque, selon elles. Les dernières statistiques leur donnent raison : en 2024, les Grecs avaient l'un des pouvoirs d'achat les plus faibles parmi les 27 membres de l'Union européenne, tout juste devant les Bulgares, au bas du classement. PHOTO LOUISA GOULIAMAKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Les retraités ont aussi été durement touchés par les mesures d'austérité. Ici, une manifestation tenue à Athènes en 2022 pour réclamer de meilleures pensions face à la hausse du coût de la vie. « Le coût de la vie est super élevé, donc la qualité de vie est super basse », soutient Penicles, plus loin dans la foule. Le chercheur de 28 ans pointe la déroute du marché du travail. « Les droits des travailleurs sont inexistants. » Chute de la syndicalisation Depuis la crise économique, l'austérité imposée par les gouvernements successifs a profondément ébranlé le monde du travail. De 2009 à 2017, la proportion d'employés couverts par une convention collective est passée de près de 100 % à 14 %, selon les données de l'OCDE. Aujourd'hui, l'Institut syndical européen estime que ce chiffre est tombé à 10 %. Les réformes du marché du travail des années 2010, comme la fin du renouvellement automatique des conventions collectives et la possibilité pour les entreprises de se retirer des négociations par secteurs, ont considérablement réduit le taux de syndicalisation des travailleurs grecs. Une série de législations a également modifié en profondeur les droits des travailleurs. L'une des dernières, adoptée en juillet 2024 par le gouvernement du premier ministre Kyriákos Mitsotákis, permet aux salariés de certains secteurs de travailler six jours sur sept. C'est révélateur que la Grèce instaure une semaine de travail de six jours alors que le reste de l'Europe se dirige vers quatre jours. Penicles Un sixième jour qui a la vie dure Si la nouvelle loi laisse en principe le droit à l'employé de refuser de travailler un sixième jour, le risque de congédiement en cas de refus est bien réel. Certains peuvent résister, grâce à des pressions syndicales ou au double emploi. C'est le cas de Sebelidou, rencontrée à la manifestation, dont le deuxième boulot lui offre une plus grande sécurité financière. « S'ils me disaient de travailler six jours, je dirais non et je m'en irais, dit-elle. Mais si c'était mon seul emploi […], je n'aurais pas le choix. » Makis Tsekouras le confirme : à l'entrepôt de la chaîne de magasins Praktiker, où il travaille, la plupart des employés acceptent de travailler un sixième jour, par crainte d'être licenciés. Il est l'un des seuls à refuser. « Comme chef syndical, je peux me le permettre. Je suis le seul qui ne peut pas être viré », explique-t-il. Contrairement à ses collègues, il est aussi l'un des rares encore protégés par une convention collective. Tu peux dire non au sixième jour, mais en réalité, tu vas être renvoyé. […] L'employé reste à la disposition de son employeur 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ntina Gkokaki, présidente de la Fédération des employés du secteur privé du syndicat PAME Mme Gkokaki s'indigne que le gouvernement utilise la reprise économique comme excuse pour passer des législations hostiles aux travailleurs. « Le gouvernement a présenté cette loi comme une solution pour stopper l'exploitation des employés », rappelle Manos Matsaganis, économiste et chef du Programme économique grec et européen au sein de la fondation ELIAMEP, un centre de recherche indépendant sur la politique étrangère européenne. Il souligne que beaucoup d'entreprises font faire des heures supplémentaires à leurs employés sans les payer. « L'intention était de mettre de l'ordre dans un marché très peu régulé, avance-t-il. Mais je doute que ça ait l'effet escompté. » « Humiliés » et « pessimistes » Pour M. Matsaganis, si les travailleurs continuent de manifester malgré la croissance économique, c'est surtout parce qu'il n'y a pas de redistribution de la richesse créée. Comme l'inflation affecte de manière disproportionnée les travailleurs à faible revenu, « on comprend mieux pourquoi certains Grecs sont pessimistes », explique-t-il, en s'appuyant sur ses récents travaux. Et les manchettes célébrant la croissance économique grecque vont continuer de frustrer les moins fortunés. « Avec la crise, plusieurs Grecs sont devenus amers à l'égard de l'Union européenne, poursuit Manos Matsiganos. […] Beaucoup se sont appauvris et se sentent humiliés. » * Des participants à la manifestation du 9 avril ont demandé à taire leur nom de famille.

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